Gautier de Coinci

Gautier (vers 1178-1236) est né dans le petit village de Coincy (les orthographes diffèrent entre Coinci et Coincy), situé dans l’Aisne, entre Fère-en-Tardenois et Château-Thierry. Il écrivit au cloître toute son œuvre pieuse : contes dévots, miracles, poèmes consacrés à la vierge et aux saints.  En tant que bénédictin, il recopiait et traduisait des vers latins, comme tout moine de l’époque. C’est ainsi qu’il a pu reprendre Le Miracle de Théophile ou les Chansons à la Vierge. Cependant, Les Miracles de Notre-Dame, une autre œuvre, restent tout à fait personnels. Certes, il était bercé comme tout un chacun par la littérature latine et en utilisait les thèmes. C’est ainsi que, dans la littérature médiévale, on recensera des sujets récurrents tels que l’arrivée du printemps, les jongleurs, la neige etc…

Les Miracles de Nostre Dame sont des légendes illustrant le secours apporté par la Vierge à ses dévots et sa mansuétude à l’égard du pécheur repentant. Bon nombre font intervenir la maladie. Nous trouvons à ce propos deux types de miracles: tout d’abord, les miracles mettant en scène un personnage ayant commis une faute. Celui-ci est alors touché par la maladie. Son seul salut sera dû à sa foi. D’un autre côté, certains miracles présentent des personnages qui n’ont commis aucun péché mais qui sont atteints d’une maladie due aux épidémies qui sévissaient dans le pays à cette époque. Cette dichotomie permet de mettre en relief le fait que n’importe qui peut être atteint, le juste comme le pécheur. On pourrait se demander pourquoi Gautier a choisi le motif de la maladie. Certainement par souci de réalisme puisque les épidémies sévissaient à cette époque. Elles ont marqué l’imaginaire médiéval et ont été rapidement perçues comme diaboliques. Gautier tente de convaincre le lecteur de l’utilité de la foi. Son mode de persuasion tient compte de l’esprit culturel, religieux qui animent cette société, mais il tient compte aussi du désordre moral. Il ouvre les consciences par le biais de références religieuses. Ainsi, le lecteur médiéval s’identifiera à tel ou tel protagoniste.

Bien que plongé dans une culture religieuse, Gautier ne cesse pas moins de répondre aux préoccupations de la société. La foi en est la meilleure réponse possible et le plus grand espoir. Face aux préoccupations et aux aspirations de ses contemporains, à leurs soucis et à leurs espoirs, Gautier tente d’apporter une philosophie stimulante et régénératrice dans la mesure où elle permet à l’homme médiéval d’entrevoir des jours meilleurs par le biais de ce refuge qu’est la foi.

 

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Extrait d’Une femme qui fut guérie à Arras, de Gautier de Coinci :

 

Une jeune fille d’Arras a eu une vision dans son enfance, et, depuis ce jour, s’est vouée corps et âme à la Vierge. Cependant, elle sera mariée, contre son gré, par ses parents. Elle va subir les assauts de son mari qui est rendu furieux par l’impossibilité de la déflorer. Sans doute un enchantement de Marie. Il finira, au bout de six mois de vaines tentatives, par lui enfoncer un poignard dans le sexe. La jeune fille va survivre mais sa plaie va s’infecter et la faire souffrir horriblement. Elle sera également frappée par une autre maladie, le mal des ardents, qui se répand au même moment dans Arras. [Cette maladie est en fait une intoxication due à l’ingestion de seigle ergoté]. Elle se fera transporter à l’église d’Arras où ont lieu des miracles.

Un evesque eut a Arras lors
Qui mout estoit de grant renon;
Aluisus avoit a non.
Tant fait la lasse c’on li porte.
Si com fame demie morte
A l’evesque s’est confessee.
L’avision li a contee
Qu’ele veüe eut en s’enfance,
Et puis li dit sanz delaiance
Ses fais et toute s’action.
Quant l’evesques s’entention
Voit si tres pure et si tres sainne,
Por peu que li cuers ne li sainne.
Tant par a grant compassion
De la grant tribulation
Qu’il voit que la dolante endure
Faire fesist mout grant laidure
A son baron isnelement
Et luez sanz nul delaiement
D’auz deus fesist divorcion;
Mais il s’apense que li hom
Cui espeuse est la garderoit
Mielz c’uns estranges ne feroit,
Et par raison et par droiture.
Li bons evesques par grant cure
Au mielz qu’il puet la reconforte.
A son baron mout bien enorte
Por l’amor au haut roy celestre
Que ses freres aprende a estre,
Car ses barons estre ne puet;
Et se rienz nule li estuet
Qui de son propre ne sousfise,
Il li fera a sa devise
Moult largement, n’en redout mie,
Avoir toz les jors de sa vie.
Mout l’a l’evesques confortee.
A son ostel est reportee,
Mais la lasse est a tel martyre
Que jor et nuit sa plaie empire.
Grant piece vit a tel contraire
Anuis seroit de ce retraire.
Queque la lasse languissoit
Qui de son lit onques n’issoit,
Li feuz d’enfer si fort se prist
Par tout Artoys et tant esprist
Et d’uns et d’autres que redire
Ne vos saroye le martyre,
La braierie, la criee
Qui ert par toute la contree.

 

Traduction :

 

Il y avait, à l’époque, à Arras, un évêque de grande réputation, nommé Aloisius. La malheureuse a tant fait qu’on la lui conduit. Comme une femme à moitié morte, elle se confesse à l’évêque. Elle lui raconte la vision qu’elle a eue dans son enfance et puis confie aussitôt tout ce qu’elle a fait. Quand l’évêque constate une intention si pure et si saine, son cœur en saigne presque; il éprouve une telle compassion pour les grandes tribulations qu’il lui voit endurer, qu’il ferait sur-le-champ mettre à mal son mari et qu’il les séparerait aussitôt par un divorce; mais il remarque que l’homme qu’elle a épousé la garderait mieux que ne le ferait un étranger, par raison et par droit. Le bon évêque, avec grand soin, la réconforte du mieux qu’il peut. Il engage le mari à apprendre et à se comporter en frère, par amour pour le haut roi du ciel, puisqu’il ne peut agir en mari; et s’il manque à ce dernier quelque chose qu’il ne puisse se procurer, il le lui fera avoir tous les jours de sa vie – que celui-ci n’en doute pas ! L’évêque l’a bien réconfortée. On la ramène à la maison. Mais la pauvre souffre un tel martyre que jour et nuit sa plaie empire. Elle reste longtemps dans cet état, pénible à décrire. Alors que la malheureuse languissait sans quitter son lit, le feu d’enfer (le mal des ardents) s’alluma par tout l’Artois et brûla tant de personnes que je ne saurais vous décrire le martyre, les hurlements et les cris dans tout le pays.

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