Voyage forcé à Cayenne – Louis-Ange Pitou

 Louis-Ange Pitou [XVIIIe - XIXe s / France ; Journal] 86265419_p

Louis-Ange Pitou (1767-1846) était un journaliste qui avait voué sa fidélité à Marie-Antoinette et à la défense de la monarchie. Révolution oblige, il n’échappa que de très peu à la guillotine mais il fut envoyé au bagne de Cayenne où il resta deux ans. Il mit à profit ce séjour quelque peu particulier pour tenir une sorte de journal qui donna lieu par la suite à ce livre. 

Ce qui est fascinant dans ce récit, c’est qu’on a l’impression que son auteur, l’air guilleret, fait un voyage d’agrément ! Lorsqu’on connaît la réputation de Cayenne, on se dit qu’il y a deux causes à cela : soit il était totalement inconscient, soit il cachait sa peur. Cependant, durant le voyage et à proximité du bagne, le ton légèrement humoristique qu’il arborait se mêle à un hyperbolisme afin de décrire avec force violence l’état dans lequel se trouvaient l’équipage et les déportés, comme il les nommait (ne s’incluant pas d’ailleurs). 

Il est toujours intéressant de lire ce genre de récit qui nous en apprend énormément sur l’Histoire d’une part et sur la société de l’époque. Et lorsque l’écriture est agréable, ce qui est le cas ici, pourquoi attendre ? 

Extrait :

Le 26 février, le soleil a à peine dissipé les nuages du matin quand nous ouvrons nos yeux rouges et mouillés de Nos guides frappent à la porte d’un grand bâtiment. Un petit homme, frisé comme le dieu des Enfers, nous lance un regard sinistre, et leur dit d’un ton aigre… « Ils sont à moi… Venez par ici. » Nous traversons une grande cuisine, où cuit un bon souper qui ne sera pas pour nous ; et de peur que nous ne le mangions des yeux, le petit Pluton (il se nomme Poupaud), prend son gros paquet de clefs, nous conduit dans une grande salle, nommée chapelle de Saint-Maurice. Nous passons avec efforts par une porte extrêmement étroite et haute de deux pieds. Les verrous se referment sur-le-champ, nous voilà au milieu de soixante-dix prêtres, destinés comme nous au voyage d’outre-mer. Nous attendions au moins une botte de paille pour nous coucher, mais ces messieurs nous font un lit avec des valises et des serpillières.

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