Lettres – Madame de Maintenon

Née à Niort en 1635, Françoise d’Aubigné était la petite-fille d’Agrippa, huguenot auteur du fameux recueil desTragiques. Très vite orpheline, elle fut tiraillée entre la famille paternelle protestante et la famille maternelle, catholique. Après quelques temps passés auprès de sa tante huguenote, elle fut enlevée par sa marraine afin de la remettre dans le « droit chemin » catholique. A seize ans, elle devint Madame Scarron. Cependant, l’auteur du Roman Comique était mal en point et Françoise se retrouva veuve et sans le sou à vingt-cinq ans. Remarquée de Madame de Montespan, maîtresse du roi, elle fut employée comme gouvernante de ses enfants. En 1675, Louis XIV lui offrit une terre, celle de Maintenon. A la mort de la reine, Louis XIV l’épousa secrètement.

Elle se consacra à une fondation, la maison de Saint-Cyr, destinée à l’éducation des jeunes filles nobles et sans fortune. Plus de deux cent cinquante demoiselles y furent élevées. Elle vécut la dérive de son propre établissement et en fut affectée comme sa correspondance l’atteste.

Elle s’y retira après la mort du roi (1715) et y mourut en 1719. Il nous reste sa correspondance, fort intéressante dans la mesure où elle nous dépeint non pas la femme de Cour mais la femme tout court, avec ses doutes et ses faiblesses.

Lettre à Mme de Fontaines,
maîtresse générale des classes de Saint-Cyr

20 septembre 1691

(…) Mon orgueil s’est répandu par toute la maison, et le fond en est si grand qu’il l’emporte même par-dessus mes bonnes intentions. Dieu sait que j’ai voulu établir la vertu à Saint-Cyr ; mais j’ai bâti sur le sable, n’ayant point vu ce qui seul peut faire un fondement solide. J’ai voulu que les filles eussent de l’esprit, qu’on élevât leur coeur, qu’on formât leur raison. J’ai réussi à ce dessein : elles ont de l’esprit et s’en servent contre nous ; elles ont le coeur élevé et sont plus fières et plus hautaines qu’il ne conviendrait de l’être à de grandes princesses, à parler même selon le monde. Nous avons formé leur raison et fait des discoureuses, présomptueuses, curieuses, hardies. C’est ainsi que l’on réussit quand le désir d’exceller nous fait agir. Une éducation simple et chrétienne aurait fait de bonnes filles dont nous aurions fait de bonnes femmes et de bonnes religieuses, et nous avons fait de beaux esprits, que nous-mêmes, qui les avons formés, ne pouvons souffrir ; voilà notre mal, et auquel j’ai plus de part que personne. Venons aux remèdes, car il ne faut pas se décourager. Nos filles ont été trop considérées, trop caressées, trop ménagées ; il faut les oublier dans leurs classes, leur faire garder le règlement de la journée, et leur parler d’autre chose. Priez Dieu et faites prier pour qu’il change leurs cœurs et qu’il nous donne à toutes l’humilité ; mais, Madame, il ne faut pas beaucoup en discourir avec elles. Ne leur parlez ni sur l’orgueil, ni sur la raillerie ; il faut la détruire sans la combattre, et par ne s’en plus servir. Leurs confesseurs leur parleront sur l’humilité, et beaucoup mieux que nous ; ne les prêchons plus, et essayez de ce silence qu’il y a si longtemps que je vous demande : il aura de meilleurs effets que toutes nos paroles…
Nous avons voulu éviter les petitesses de certains couvents, et Dieu nous punit de cette hauteur : il n’y a point de maison au monde qui ait plus besoin d’humilité extérieure et intérieure que la nôtre : sa situation près de la cour, sa grandeur, sa richesse, sa noblesse, l’air de faveur qu’on y respire, les caresses d’un grand roi, les soins d’une personne en crédit, l’exemple de la vanité et de toutes les manières du monde qu’elle vous donne malgré elle par la force de l’habitude, tous ces pièges si dangereux nous doivent faire prendre des mesures toutes contraires à celles que nous avons prises. (…)

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