
Passiflore nous propose aujourd’hui d’évoquer deux poètes. Après une petite hésitation, je choisis ces deux-là :


Baudelaire, un monument poétique à lui tout seul ! Bon, pas rigolo le bonhomme, mais quelle plume ! Et si je ne devais citer qu’un poème, ce serait « Une Charogne ». Je trouve fascinant le fait que le personnage se balade avec sa bien-aimée, croise le cadavre de la bestiole, et dise à sa dame qu’elle finira ainsi !
« – Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion ! »
Avouez quand même qu’il fallait oser !
Avez-vous reconnu le deuxième ? Il s’agit de Francis Ponge. Lisez « Le Pain » et je suis sûre que vous ne verrez plus votre tartine de la même façon :
« La surface du pain est merveilleuse d’abord à cause de cette impression quasi panoramique qu’elle donne : comme si l’on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes.
Ainsi donc une masse amorphe en train d’éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s’est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses… Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, – sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente.
Ce lâche et froid sous-sol que l’on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable…
Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation. »
Ces deux poètes ont un point commun : ils transforment des choses viles, quotidiennes, en de purs moments de poésie.