Les Enfarinés – Jean-Paul Desprat

Voici un livre que je ne regrette pas d’avoir lu ! D’abord parce qu’il s’agit d’un roman historique bien écrit, à l’écriture agréable et fluide. Ensuite, parce que j’ai appris tout un pan d’Histoire régionale que je ne connaissais pas : dans l’Aveyron, certaines familles n’ont pas apprécié le Concordat de 1801, ont caché des prêtres dissidents et en sont arrivés à refuser les sacrements donnés par l’église concordataire.

C’est ce que va nous raconter ce roman : celui-ci débute en 1793 avec la confiscation des cloches. Cela permet, dans un premier temps, de présenter le contexte historique post-Révolution. La famille Fourcous, une des plus vieilles du hameau de la Bécarie, appartenant à la paroisse de Cassaniouze (diocèse de Saint-Flour), donne asile à l’Abbé Lazuech, prêtre réfractaire fuyant les persécutions. C’est un tournant dans leur existence et dans celle des générations futures…

Pourquoi ce titre ? C’est ainsi que furent appelés ces Aveyronnais qui se mettaient de la farine dans les cheveux pour rappeler les perruques royales. Il faut savoir que ces dissidents n’ont pas été les seuls. Il y a eu des groupes dans toute la France et jusqu’à la Belgique. Ils s’appelaient « La Petite Eglise ».

Je ne regrette pas d’avoir trouvé ce livre chez un bouquiniste. Les recherches que l’on peut faire, suite à sa lecture, sont passionnantes.

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Que sur toi se lamente le Tigre – E. Malfatto

Ce court roman est un véritable uppercut ! La narratrice, une jeune Iranienne, attend sa mort. Mais qu’a-t-elle fait de si répréhensible ? Elle porte en elle la vie, ou plutôt, paradoxalement, son arrêt de mort. Car la jeune fille n’est pas mariée. Mohamed l’a déflorée avant de partir au combat. Mais celui-ci ne reviendra pas, condamnant ainsi doublement sa promise. Pour aller plus loin dans l’horreur, c’est le frère aîné qui rétablira l’honneur de la famille, avec l’aval de la mère… Certaines règles/lois/coutumes peuvent être terribles !

Tout comme la vie de la narratrice, le rythme des phrases est court, vif, incisif. On alterne entre les voix, dont celle du Tigre, qui connait tout et voit tout. Quelques passages de Gilgamesh viennent ponctuer le récit, alliance entre l’antique et le moderne… Moderne… vraiment ?

Sur les chemins noirs – Sylvain Tesson

Je remarque que l’on voit de plus en plus souvent Sylvain Tesson à la télévision. Je me suis dit qu’il serait peut-être temps que je m’intéresse à cet auteur qui me paraissait bien sympathique mais également mystérieux avec son visage en biais. En lisant ce livre, j’ai appris que cette « gueule cassée » était due à une chute de dix mètres d’un toit, chute certainement provoquée par l’alcool. Ce livre est le résultat d’une promesse : dans son lit d’hôpital, l’écrivain s’est juré d’aller parcourir les chemins de France dès qu’il le pourrait. Et c’est donc avec la colonne vertébrale cloutée, comme il le dit lui-même, qu’il va se lancer dans cette aventure, un peu comme Stevenson avec sa mule. Quel plaisir de lire ce récit, de vivre ces pérégrinations ! On voyage dans son canapé.

Nul doute que je lirai Dans les forêts de Sibérie et Blanc. Mais vous me connaissez, ne faisant jamais rien comme tout le monde, j’ai préféré commencer par celui-ci.

Lettres – Madame de Maintenon

Née à Niort en 1635, Françoise d’Aubigné était la petite-fille d’Agrippa, huguenot auteur du fameux recueil desTragiques. Très vite orpheline, elle fut tiraillée entre la famille paternelle protestante et la famille maternelle, catholique. Après quelques temps passés auprès de sa tante huguenote, elle fut enlevée par sa marraine afin de la remettre dans le « droit chemin » catholique. A seize ans, elle devint Madame Scarron. Cependant, l’auteur du Roman Comique était mal en point et Françoise se retrouva veuve et sans le sou à vingt-cinq ans. Remarquée de Madame de Montespan, maîtresse du roi, elle fut employée comme gouvernante de ses enfants. En 1675, Louis XIV lui offrit une terre, celle de Maintenon. A la mort de la reine, Louis XIV l’épousa secrètement.

Elle se consacra à une fondation, la maison de Saint-Cyr, destinée à l’éducation des jeunes filles nobles et sans fortune. Plus de deux cent cinquante demoiselles y furent élevées. Elle vécut la dérive de son propre établissement et en fut affectée comme sa correspondance l’atteste.

Elle s’y retira après la mort du roi (1715) et y mourut en 1719. Il nous reste sa correspondance, fort intéressante dans la mesure où elle nous dépeint non pas la femme de Cour mais la femme tout court, avec ses doutes et ses faiblesses.

Lettre à Mme de Fontaines,
maîtresse générale des classes de Saint-Cyr

20 septembre 1691

(…) Mon orgueil s’est répandu par toute la maison, et le fond en est si grand qu’il l’emporte même par-dessus mes bonnes intentions. Dieu sait que j’ai voulu établir la vertu à Saint-Cyr ; mais j’ai bâti sur le sable, n’ayant point vu ce qui seul peut faire un fondement solide. J’ai voulu que les filles eussent de l’esprit, qu’on élevât leur coeur, qu’on formât leur raison. J’ai réussi à ce dessein : elles ont de l’esprit et s’en servent contre nous ; elles ont le coeur élevé et sont plus fières et plus hautaines qu’il ne conviendrait de l’être à de grandes princesses, à parler même selon le monde. Nous avons formé leur raison et fait des discoureuses, présomptueuses, curieuses, hardies. C’est ainsi que l’on réussit quand le désir d’exceller nous fait agir. Une éducation simple et chrétienne aurait fait de bonnes filles dont nous aurions fait de bonnes femmes et de bonnes religieuses, et nous avons fait de beaux esprits, que nous-mêmes, qui les avons formés, ne pouvons souffrir ; voilà notre mal, et auquel j’ai plus de part que personne. Venons aux remèdes, car il ne faut pas se décourager. Nos filles ont été trop considérées, trop caressées, trop ménagées ; il faut les oublier dans leurs classes, leur faire garder le règlement de la journée, et leur parler d’autre chose. Priez Dieu et faites prier pour qu’il change leurs cœurs et qu’il nous donne à toutes l’humilité ; mais, Madame, il ne faut pas beaucoup en discourir avec elles. Ne leur parlez ni sur l’orgueil, ni sur la raillerie ; il faut la détruire sans la combattre, et par ne s’en plus servir. Leurs confesseurs leur parleront sur l’humilité, et beaucoup mieux que nous ; ne les prêchons plus, et essayez de ce silence qu’il y a si longtemps que je vous demande : il aura de meilleurs effets que toutes nos paroles…
Nous avons voulu éviter les petitesses de certains couvents, et Dieu nous punit de cette hauteur : il n’y a point de maison au monde qui ait plus besoin d’humilité extérieure et intérieure que la nôtre : sa situation près de la cour, sa grandeur, sa richesse, sa noblesse, l’air de faveur qu’on y respire, les caresses d’un grand roi, les soins d’une personne en crédit, l’exemple de la vanité et de toutes les manières du monde qu’elle vous donne malgré elle par la force de l’habitude, tous ces pièges si dangereux nous doivent faire prendre des mesures toutes contraires à celles que nous avons prises. (…)

Lettres – Madame de Sévigné

Madame de Sévigné [XVIIe s / France ; Lettres] Image

J’ai une tendresse particulière pour Madame de Sévigné. Cette pauvre femme a accumulé les malheurs dans sa vie. Jugez plutôt : Née le 05 février 1626, celle qui se nommait alors Marie de Rabutin-Chantal perd son père un an plus tard et sa mère à l’âge de sept ans. Elle est alors élevée par sa famille maternelle et recevra son éducation des religieuses de la Visitation dont la fondatrice n’était autre que sa grand-mère paternelle, Jeanne de Chantal.

Belle et cultivée, (et je ne parle pas de sa fortune), elle attire inévitablement les partis. A dix huit ans, elle épouse le marquis Henri de Sévigné. Hélas, il la ruine à moitié et la délaisse. Une des ses aventures amoureuses le conduira d’ailleurs en duel au cours duquel il perdra la vie. La Marquise devient veuve à vingt cinq ans avec deux enfants à charge, Charles et Françoise.

Dès lors, elle n’aura de cesse de bien élever sa progéniture et de remettre de l’ordre dans ses affaires. Lorsque sa fille épouse M. le Comte de Grignan et que le couple déménage en Provence, Madame de Sévigné en éprouve une tristesse extraordinaire, un déchirement des plus douloureux. Les lettres à sa fille sont parmi les plus émouvantes. Cependant, le genre épistolaire ne lui servait pas qu’à communiquer avec sa descendance. Elle lui permettait également de retranscrire tous les événements que vivait sa société. 

Cette correspondance, d’une richesse inouïe, ne fut publiée que bien après sa mort (celle-ci étant survenue en 1696, ses lettres ne furent publiées qu’à partir de 1725). J’aime beaucoup lire et relire ces textes.