Le chat brésilien – Arthur Conan Doyle

Arthur Conan Doyle [XIXe-XXe s / Royaume-Uni ; Nouvelles] 84517555_p

Le chat brésilien (que l’on trouve également sous le nom « Le Chat du Brésil ») est une nouvelle parue dans les Contes de Terreur, recueil publié en 1900. Inutile de chercher nos bons vieux compères Sherlock et Watson. Conan Doyle n’a pas écrit que des romans policiers. Il s’est essayé avec brio aux histoires surnaturelles et/ou terrifiantes comme c’est le cas ici.

Le jeune aristocrate Marshall King, héritier sans le sou du richissime Lord Southerton, pingre comme il n’est pas permis, va passer quelques jours chez son cousin, Edward King, rentré tout juste du Brésil. Il compte sur la générosité de ce proche pour éponger ses dettes. Lorsque Marshall arrive chez son cousin, si celui-ci se montre très chaleureux, son épouse reste très froide, très distante. Pire, elle va vite se montrer offensante, lui demandant, dès le lendemain au petit-déjeuner, à l’insu de son mari, de partir. Mais Edward entendit la fin de la conversation, prit sa femme à part pour lui demander de s’excuser. Les yeux de cette dernière, d’une noirceur sans nom, étincelaient. En guise d’excuses, elle le traita d’idiot. Edward mit cela sur le compte de la jalousie maladive de celle-ci, proche de la folie. Il entreprit de faire voir à Marshall quelques « souvenirs » ramenés de son voyage, des bestioles exotiques ou étranges, dont un chat, magnifique, énorme, redoutable, baptisé Tommy. 

Au bout d’une semaine, Marshall se décide à expliquer à son cousin les raisons de sa venue. A-t-il eu raison ? N’aurait-il pas mieux fait d’écouter le conseil de l’épouse ? Quel rôle va jouer le chat ? Je vous laisse deviner tout ceci…

C’est avec une écriture toujours aussi fine, mélangeant psychologie et indices, que Conan Doyle nous délivre ce petit bijou. Les coïncidences vont bon train, le rythme est assez soutenu… quant à la fin, elle vous laissera sans voix. 

Extrait :

– Je vais vous montrer le joyau de ma collection, me dit-il. Il n’y en a qu’un autre spécimen en Europe, maintenant que le petit de Rotterdam est mort. C’est un chat brésilien.
– En quoi diffère-t-il d’un autre chat ?
– Vous allez voir, me répondit-il en riant. Voudriez-vous faire glisser le guichet et regarder à l’intérieur ?
J’obéis. J’avais vue sur une grande salle nue, dallée, qui avait de petites fenêtres à barreaux sur le mur d’en face. Au milieu de cette salle, une grosse bête de la taille d’un tigre, mais noire et luisante comme de l’ébène, était couchée dans un rayon de soleil. C’était tout simplement un chat gigantesque et très bien soigné. Pelotonné sur lui-même, il se chauffait béatement comme n’importe quel chat. Il était si gracieux, si musclé, et si gentiment, si paisiblement diabolique que je demeurai au guichet un bon moment à le contempler. 
– N’est-il pas splendide ? me demanda mon hôte avec enthousiasme.
– Magnifique ! Je n’ai jamais vu un plus bel animal.
– On l’appelle parfois un puma noir, mais en réalité il n’est pas un puma. De la tête à la queue il mesure trois mètres cinquante. Il y a quatre ans, il n’était qu’une petite boule de poils noirs d’où émergeaient deux yeux jaunes. On me l’a vendu tout de suite après sa naissance dans une région sauvage située près des sources du Rio Negro. Sa mère avait été abattue à coups de lance parce qu’elle avait tué une douzaine d’indigènes.

Challenge Les textes courts. 

Genre : Nouvelle

Auteur : Arthur Conan Doyle

Pays : Royaume-Uni

Nombre de pages : 12

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Tragédies salutaires – Dario Bicchielli

Dario Bicchielli [XXe-XXIe s / Belgique ; Nouvelles] Image

Quatrième de couverture :

Amour et haine, liberté et oppression, éveil et repos, vie et mort, des mondes antagonistes aux frontières subtiles et capricieuses. Dans ce recueil, ces univers se côtoient sans cesse, se chevauchant et s’alternant au gré des péripéties de parfaits antihéros dont l’anonymat transcende les forces et les faiblesses de la condition humaine. 
« Tragédies salutaires » est le premier livre d’un jeune auteur à la plume cinglante et pourvue d’ironie. Teintées d’humour et de cynisme, ses nouvelles relatent les déboires de personnages attachants aux histoires étonnantes, détonantes et riches en rebondissements.

Mon avis : 

La première nouvelle commence comme une nouvelle de science-fiction que j’avais lue il y a bien longtemps (et dont je suis incapable de me remémorer le titre), ce qui a attiré mon attention. Mais là s’arrête la comparaison car il ne s’agit pas du tout de science-fiction ici mais bien plutôt d’une nouvelle très mordante. Imaginez plutôt : vous vous réveillez de bon matin, vous entendez du bruit au rez-de-chaussée, vous vous levez et vous vous prenez un bon coup de crosse sur le coin du nez (ou plutôt de l’arcade)… Douloureux comme réveil, hein ? Mais si l’agresseur n’était pas celui que vous pensiez ?  
On notera dans ce texte le suspense rendu par les multiples interventions du narrateur. Le ton, associant envolées soutenues et vocabulaire familier, donne une atmosphère à ce court récit très réussi.

La deuxième nouvelle est radicalement différente. Elle nous présente Jack Madison, jeune homme à qui tout souriait et qui aurait pu faire carrière dans le base-ball s’il n’y avait pas eu cette satanée rupture sentimentale à la suite de laquelle il décida de prendre part à la guerre du Viêt Nam… Encore une fois, je n’ai pas vu venir la chute. Dario Bicchielli bichonne son final, croyez-moi ! Il sait surprendre. S’ensuivent quelques « entractes » de haute tenue démontrant, s’il le fallait, que l’auteur sait jouer avec l’humour et les mots.

La troisième nouvelle a pour décor le monde hospitalier. Link va bientôt s’endormir pour l’éternité. Avant cela, il nous offre un grand voyage. Texte très émouvant mais qui donne à réfléchir. Enfin, après un deuxième interlude, la quatrième nouvelle nous projette dans les pensées d’une personne qui, soudain, se retrouve paralysée et se livre à une réflexion intérieure. Enfin, la dernière histoire met en scène l’ennemi public n° 1. Le recueil se termine par de la poésie et l’on pourra remarquer à quel point l’auteur jongle entre prose et poésie, sans filet.

Je ne peux que vous conseiller ce livre brillant, puissant, provocateur et accrocheur ! Je ne suis pas sortie de ma lecture jusqu’à l’ultime page.

Ce recueil entre également dans le challenge de Sharon : 

Une bière à Firenzuola – Maurice Le Rouzic

Maurice Le Rouzic [XXe-XXIe s / France ; Nouvelles] Image

Fiche faite le 1er août 2012

Quatrième de couverture : 

Une bière à Firenzuola et autres nouvelles de Maurice Le Rouzic, recueil idéal pour échapper à la morosité, entraîne quiconque le savoure à travers la Croatie, l’Italie, l’île de Chypre, celle de Cuba, la Pologne, la République Tchèque, l’Angleterre, le Cambodge… La procession de pays enchante : les paysages défilent, les personnages se succèdent. Mais l’Histoire, toujours, vient se mêler aux décors colorés. De ce fait, Une bière à Firenzuola et autres nouvelles invite le lecteur à s’évader en voyageur éclairé, en homme conscient des autres et de ce qui l’entoure.

Mon avis :

On connaissait déjà la fameuse Invitation au voyage de Baudelaire (oh eh, on peut faire part d’un peu de culture de temps en temps, non ?! ), voici celle, beaucoup plus moderne, de Maurice Le Rouzic. D’ailleurs, si le poète offrait au lecteur sous le charme la vision d’un pays idyllique, ce n’est pas vraiment le cas ici et la première nouvelle du premier recueil, intitulée Tornade, donne le ton en plongeant le lecteur non pas dans la douceur et la volupté (on l’aura bien compris en voyant le titre) mais dans un Cambodge où les images négatives – car associées à la politique, à l’Histoire- affluent. Les textes suivants associent également géographie (on parcourt le globe) et appel aux réminiscences. Car c’est bien de cela qu’il s’agit ici. Le fil conducteur reste la mémoire, personnelle ou collective. Voilà qui est original mais surtout bien écrit et l’on pourra admirer cette plume digne que l’on s’y arrête dessus. Cette prose, que l’on peut qualifier de poétique, s’appuie sur des connotations artistiques : musique, peinture viennent ponctuer les textes et donner une ampleur d’autant plus grande à l’impact sur le lecteur. 

Le deuxième recueil, jouant avec les chiffres, est plus léger thématiquement parlant mais travaillé stylistiquement. L’auteur s’amuse à la manière d’un Queneau. Des exercices de style, donc, pour reprendre un titre éponyme, qui ne pourront qu’enchanter les lecteurs.

Je conseille vraiment la lecture de cet ouvrage afin de découvrir un passionné des mots, un virtuose de la prose qui ne manque pas de références culturelles. 

Extrait : 

Les couleurs de Vinci (Premier recueil)

Poggio a Calano

Enfin, l’azur éclatait dans un ciel printanier que les pluies des jours précédents avaient rincé, lessivé, essoré. Pas un seul nuage ne venait troubler la suavité de cette matinée d’avril. La voiture suivait le serpent des petites routes qui grimpaient, descendaient, contournaient les collines toutes de vert vêtues : du sombre, presque bleu, des cyprès à celui plus tendre des jeunes herbes. Çà et là, la tache ocre d’une villa ou d’une ferme avec son porche et son campanile rappelait que des hommes habitaient aussi ce paysage. Du sommet d’un des petits monts, Vincent aperçut, au loin, perché sur son éperon, ses tours fièrement et inutilement dressées vers le ciel, le village de San Gimignano aux ruelles certainement encombrées de touristes à cette époque de l’année.

Pour dire vrai, il s’était quelque peu perdu. Pas de GPS dans sa voiture de location. Une carte routière insuffisamment détaillée. Des panneaux indicateurs eux-mêmes hésitants. Tout s’était ligué pour qu’il sorte des sentiers battus et qu’il découvre la Toscane profonde. Il râlait aux intersections, nues de toute direction, ou en prenant le risque d’un périlleux demi-tour quand il s’enfonçait vers le sud alors qu’il aurait dû garder un cap nord nord-ouest comme aurait dit son cap-hornier de grand-père. Il ne regrettait rien cependant. Ses yeux se gavaient des couleurs qu’il croyait avoir perdues. (…)

Nouvelles de l’au-d’ici – Yann Venner

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Quatrième de couverture : 

Seize nouvelles oscillant entre plusieurs genres : réaliste, fantastique, poétique, épique, humoristique, surréaliste. L’auteur se promène à la lisière des mots avec des phrases qui s’agitent dans ce livre « comme les feuilles dans une forêt ; toutes dissemblables en leur ressemblance », nous souffle Flaubert.

Jouer avec le matériau verbal et nous entraîner vers des chemins de traverse pour mieux appréhender nos réalités : voilà le but de ces « NOUVELLES DE L’AU-D’ICI ». Méfions-nous, car le réel est peut-être une ruse de l’imaginaire.

 

Mon avis :

Je connaissais Yann Venner en tant qu’écrivain de polars situés dans sa chère Bretagne, mais pas en tant que nouvelliste. Et si j’aimais déjà les trois romans aux titres évocateurs (Cocktail cruel ; Les coccinelles du diable ; Les chevaliers de la dune), je dois bien avouer que je le préfère largement dans des textes courts faisant la part belle aux références. J’y ai retrouvé du Tardieu par le jeu sur les mots, du Maupassant, du Marcel Aymé et bien d’autres encore… J’ai joué à les reconnaître. Tenez, ce passage, tiré de « Rêve de chien » ne vous dit-il pas quelque chose  ?

« Ce matin-là, à l’heure où l’épeire des champs tisse sa fine toile, l’ouvrier Marcel Kébir ouvrit ses volets sur un monde en déliquescence. Il pleuvait encore sur Brest (…) » (P39).

Non ? Eh bien moi, ça me rappelle Hugo (« à l’heure où blanchit la campagne »), Barbara (« il pleut sur Nantes ») et l’attaque de Mers El-Kébir. Non pas que l’histoire en parle – il s’agit là d’un homme qui se pense trompé et qui décide de tuer sa femme -, mais on voit bien que Yann Venner s’amuse avec le langage. On le remarque déjà avec le titre, me direz-vous.

Ah, il y a aussi d’autres indices qui font que l’on reconnaît « la patte » de l’écrivain : le côté breton tout d’abord et le côté polar ensuite.

Bref, j’ai pris autant de plaisir à lire ces nouvelles qu’à lire du Queneau ou du Tardieu. Et croyez-moi, lorsque je cite ces deux références, c’est que la lecture me fut vraiment agréable !

 

 

 

Le collectionneur de sons – Anton Holban

Rien n’est plus difficile que d’écrire une critique sur un recueil de nouvelles, à moins d’en faire le résumé de chacune. Mais c’est quelque chose qui ne me plaît pas vraiment. A quoi bon essayer de condenser quelque chose qui, déjà, est court ? Non, je préfère de loin m’intéresser au style de l’auteur.

Inutile de se mentir, je ne connaissais pas Anton Holban et je pense que je n’en aurais jamais découvert l’existence si sa traductrice, Gabrielle Danoux, n’avait pas eu la gentillesse de le porter à ma connaissance. Et, en toute honnêteté, je serais passée à côté d’un écrivain de talent. Si, comme moi, vous aimez les auteurs du XIXe siècle, alors vous serez conquis par celui-ci. Non pas qu’il appartienne à ce siècle (il est né en 1902 et mort en 1937) mais je rapproche sa plume d’un Flaubert, d’un Stendhal ou d’un Balzac. La quatrième de couverture le compare à Proust. Ce n’est pas faux, effectivement. Même richesse d’écriture, mêmes procédés d’analyse psychologique des personnages, même poésie… D’ailleurs, la première nouvelle s’appelle À l’ombre des jeunes filles en fleurs, cela ne s’invente pas !

Un grand bravo pour la traduction car je me dis que cela n’a pas dû être facile de rendre d’une manière aussi éloquente les figures de style employées.

Extrait : 

Le cerisier s’est élancé, s’est enroulé pour s’ouvrir ensuite, frêle et gracieux comme une ballerine. Ses fleurs roses ont dansé et un bras s’est allongé jusqu’aux cimes, deux pétales tremblotant comme les ailes d’un oiseau. (P17 / À l’ombre des jeunes filles en fleurs).